Nous avons vu précédemment que l’entreprise doit privilégier les logiciels libres qui suivent le modèle « Free Free » pour une plus grande pérennité. Nous allons nous intéresser aux acteurs de cette écosystème du libre et chercher à comprendre leur modèle économique.
Les communautés open source
La communauté joue un rôle essentiel dans le cycle de vie d’un logiciel Open Source. Tout d’abord elle permet à des utilisateurs novices qui rencontrent des difficultés de bénéficier d’une réponse rapide des personnes plus expérimentés. À côté de ce rôle de support technique informel, c’est également une plateforme de discussion entre utilisateurs et développeurs.
Elle se compose :
D’un noyau ou core team qui est une équipe de développement d’un excellent niveau qui est en charge de la roadmap et du développement du logiciel.
Des utilisateurs / testeurs et codeurs qui apportent une précieux contribution à travers la détection de bugs, les suggestions d’évolution, etc. Ces participants informels qui font la particularité de l’Open Source permettent de générer un code d’une excellente qualité grâce aux corrections apportées.
La majorité des communautés Open Source fonctionne sur la base du bénévolat. Les participants peuvent entrer ou quitter une communauté librement et ne perçoivent aucune contrepartie financière pour leur travail. Certaines communautés peuvent se faire sponsoriser par des organisations à but lucratif qui peuvent alors disposer d’un certain pouvoir dans l’évolution du logiciel libre.
Le fonctionnement d’une communauté s’apparente à un « bazar », prenant généralement la forme d’un site Web, forum, wiki, groupe de chat ou liste de diffusion. Une majorité de communautés Open Source sont aujourd’hui matérialisés par une forge logicielle, qui est un site web hébergeant la gestion du développement du logiciel notamment. Le site Github est aujourd’hui l’hébergeur de projets Open Source le plus important avec près de 30 millions de dépôts et 11 millions utilisateurs. Il s’organise comme un véritable réseau social pour permettre aux développeurs de pouvoir échanger et contribuer au code source.
La taille d’une communauté est très variable cela peut être allé d’un projet individuel à des projets de milliers de membres. Signe qu’une communauté Open Source peut fonctionner comme une véritable organisation, la communauté OpenStack avec plus de 5 600 personnes dispose de ses propres ressources, d’un comité technique, d’un conseil et d’un comité d’utilisateurs.
Les fondations open source
Une fondation est généralement adaptée aux projets Open Source qui ont atteint une certaine maturité. Cette organisation à but non lucratif permet d’avoir une gouvernance solide, de mobiliser plus facilement les ressources tout en offrant une protection juridique.
L’une des plus connus est l’Apache Software Foundation qui développe des logiciels libres de premier plan tels qu’Apache HTTP Server, Tomcat, Cassandra et Hadoop. Les projets qui sont publiés sous une licence Apache spécifique sont caractérisés par une approche collaborative et consensuelle du processus de développement. Chaque projet est managé par une équipe d’experts techniques auto-choisie qui contribuent activement.
Aujourd’hui, des organisations Open Source de « troisième génération »1, se sont développées. La collaboration ne se fait plus seulement entre les individus mais également entre des entités légales. Ce modèle de gouvernance qui se rapproche de celle d’une entreprise existe notamment à la fondation Mozilla qui développe le navigateur Firefox. Via sa filiale Mozilla Corporation, elle réalise de nombreux partenariats avec les géants informatiques comme Microsoft et Google, emploie plus de 1000 employés et génère des revenus de plus de 300 millions de dollars par an2.
Les éditeurs de logiciels libres
La première catégorie des éditeurs sont les organisations qui disposent d’une double structure : une communauté pour développer le logiciel et une structure professionnelle pour proposer des prestations payantes autour. C’est le cas de la solution Drupal et de l’entreprise Acquia crée par son développeur principal.
La deuxième catégorie d’éditeurs est constituée des sociétés privées qui publient leurs logiciels sous une licence « libre » donc gratuite. Leur stratégie est d’attirer le plus grand nombre d’utilisateurs et d’offrir une transparence sur le fonctionnement du logiciel aux clients. Ces éditeurs proposent souvent une version propriétaire avec des fonctionnalités supplémentaires (Freemium). L’autre bénéfice de ce modèle est de créer un écosystème autour de leur logiciel et de recevoir des contributions de personnes tiers.
Les éditeurs tirent leurs revenus uniquement de services de support, d’assistance technique ou de développement d’une fonctionnalité complémentaire. Notons que les éditeurs proposant des logiciels en Freemium, génèrent également des revenus des licences.
L’exemple le plus marquant de la différence de ces deux modèles se trouve dans le domaine de la gestion de contenu. Alfresco propose une version communautaire qui manque certaines fonctionnalités et une version complète payante en plus des autres services payants. Nuxeo développe une seule version libre et gratuite de son logiciel et fournit de l’assistance technique payante.
Les prestataires de service Open Source
Compte tenu de la diversité des logiciels libres développés et animés par les communautés, un certain nombre d’entreprises se sont positionnés sur les offres de service professionnelles pour accompagner les entreprises qui adoptent ceux-ci. Ce sont des acteurs complémentaires pour l’entreprise lorsqu’il n’y a de structure commerciale derrière un logiciel libre. Ils apportent un engagement de résultats, de moyens et / ou de délais de résolution pour développer à partir d’une brique Open Source, intégrer un logiciel libre ou corriger des problèmes. Les prestataires de service se distinguent par une expertise plus transversale sur l’ensemble des logiciels Open Source.
Synthèse
L’Open Source dispose aujourd’hui d’un écosystème complet et structuré autour d’acteurs très différents : communautés de développeurs et d’utilisateurs, fondations, éditeurs de logiciels et prestataires de service. Ils apportent l’ensemble des solutions aux besoins d’une entreprise utilisatrice de logiciels libres.
Le tableau ci-dessous montre les interlocuteurs à privilégier en fonction des besoins de l’entreprise :
Besoins de l’entreprise | Communauté | Fondation | Éditeur de logiciel | Prestataire de service |
Support technique d’un logiciel | Difficile (1) | Négociable (2) | Oui (3) | Oui (3) |
Accompagnement dans l’intégration d’un logiciel | Difficile (1) | Négociable (2) | Oui (3) | Oui (3) |
Développement d’une fonctionnalité complémentaire | Difficile (1) | Négociable (2) | Oui (3) | Négociable (3) |
Développement à partir de briques Open Source | Difficile (1) | Négociable (2) | Négociable (3) | Oui (3) |
Pas d’engagement de résultats, de moyens ou de délais. Il reste la possibilité de rétribuer ou d’intégrer des individus de la communauté.
Dépend s’il y a une structure commerciale. Sinon pas d’engagement de résultats, de moyens ou de délais. Il reste la possibilité de rétribuer ou d’intégrer des individus de la communauté.
Prestation payante avec généralement un engagement de résultats, de moyens et/ou de délais.
Nous remarquons que le prestataire de service et l’éditeur du logiciel libre sont les interlocuteurs privilégiés d’une entreprise lorsqu’elle souhaite s’assurer de de la bonne intégration et du fonctionnement d’un logiciel libre dans ses infrastructures.
Notons enfin que contrairement à un logiciel propriétaire, un logiciel libre permet de maîtriser sa roadmap soit :
Directement en réalisant un « fork » de la source, c’est-à-dire créer une version dérivée, en interne ou avec un prestataire ;
Indirectement en parrainant la fondation ou intégrer les membres de la communauté dans l’entreprise pour exercer une certaine influence dans les décisions d’évolution du logiciel.
1 TOSHIHIKO YAMAKAMI, The Third Generation of OSS : A Three-Stage Evolution from Gift to Commerce-Economy