Travail collaboratif et science ouverte
D’un point de vue historique, les pratiques de partage d’information et de coopération remontent aux origines de l’humanité.
Parce qu’il est le mode le plus efficace de réalisation d’une tâche complexe, le travail collaboratif a été un facteur primordial du développement de toutes les industries, et en particulier de l’industrie de l’informatique détaillée ci-après.
Comme toute innovation, les ordinateurs ont d’abord été le fruit d’un travail de recherche, fruit de la collaboration de laboratoires du secteur public et du secteur privé.
Dans les années 60 et 70, cette collaboration s’organisait selon des principes dits de « science ouverte », sans freins à la circulation des informations entre les centres académiques renommés (comme le MIT ou l’Université de Berkeley) et les fabricants de matériel, comme IBM.
Ces derniers s’inscrivaient alors pleinement dans cette logique de développement collaboratif en fournissant gratuitement le code source des logiciels permettant de faire fonctionner leurs (coûteuses) machines à leurs clients, ce qui leur permettait de bénéficier des améliorations apportées par ces derniers tout en optimisant la R&D par une approche précise des besoins des utilisateurs et des éventuels bugs rapportés par ces derniers.
Fermeture du marché et naissance du mouvement du logiciel libre
A cette période, le logiciel n’était pas considéré comme ayant une valeur propre, et ne constituait que le « garniture » du matériel qu’il permettait de faire fonctionner.
L’apparition des micro-ordinateurs et leur accession au grand public provoquera l’apparition d’un marché autonome des logiciels (ces derniers étant désormais facturés séparément du matériel qu’ils accompagnent) et corrélativement la disparition des influences réciproques entre fabricants et utilisateurs.
Pour éviter que des sociétés puissent leur porter concurrence en fournissant du matériel moins cher, mais néanmoins compatible avec leurs systèmes d’exploitation, les fabricants de logiciels prirent en effet la décision de ne plus divulguer le code source de leurs logiciels, et de priver également de cette faculté leurs chercheurs par le biais de clauses de non-divulgation.
Ces pratiques donneront naissance au mouvement du logiciel libre, fondé à l’initiative d’un chercheur du MIT, Richard Stallman. Ce dernier se trouvant dans l’impossibilité de résoudre un problème sur une imprimante faute d’accès au pilote de celle-ci, décidera de promouvoir une approche globale consistant à inviter tous les concepteurs de logiciels à ouvrir le code source de ces derniers de façon à créer un grand espace commun de logiciel et de connaissances accessibles à tous sans restriction.
Réponse juridique aux besoins de régulation du mouvement
Afin que ce mouvement ne puisse être détourné de son objectif par des organisations y voyant un seulement un moyen de s’approprier et de valoriser à moindre frais les efforts de la communauté du libre, cette dernière pris la décision d’encadrer la diffusion des logiciels créés par une licence répondant à un certain nombre d’enjeux éthiques et techniques : la licence dite « GNU GPL ».
Cette licence a pour vocation d’organiser un « retour » aux principes de science ouverte qui existaient avant la fermeture du code des logiciels par les acteurs dominants sur ce marché, tout en protégeant les libertés d’utilisation étendues dont jouissent les utilisateurs au fil des redistributions des logiciels.
La licence GNU GPL sera suivie d’un grand nombre d’autres licences libres, formant un socle juridique permettant à la fois de protéger le mouvement libre d’éventuelles stratégies de détournement, mais aussi de matérialiser la politique de régulation de la communauté dont le rôle revient à la Free Sofware Foundation.
Free Software Foundation (FSF)
La communauté des utilisateurs de logiciels « libres » est d’abord organisée autour de la Free Software Foundation (FSF). Cette fondation initiée par Richard Stallman est à l’origine de la licence GNU GPL, et joue un rôle de régulation par la définition et la promotion des principes du logiciel libre, la certification de nouvelles licences par l’examen du respect de ces principes, et la publication régulière de recommandations à l’attention des membres de la communauté.
La FSF régule donc le mouvement, en assure la cohésion, et aussi la stabilité dans le temps, notamment par la mise à jour des licences en fonction de l’évolution des usages des membres de la communauté, mais aussi en fonction des pratiques de défournement susceptibles d’émerger. La licence GNU GPL se trouve ainsi aujourd’hui sa troisième version, publiée le 29 juin 2007.
Open Source Initiative (OSI)
A la fin des années 1990, la FSF est devenue le portail de la communauté linux, organisée autour de la licence GNU GPL. En réaction à cette popularité, un groupe de programmeurs prend la décision de remplacer le terme « free software » par « Open Source software ».
L’objectif consiste essentiellement à superposer à la régulation éthique mise en oeuvre par la FSF une vision nettement plus pragmatique, liée à l’efficacité et à la fiabilité des logiciels conçus sur un mode de développement ouvert.
Par conséquent, l’Open Source Initiative ne prend pas de position « politique » concernant les relations avec les logiciels propriétaires, avec lesquels les synergies ne sont pas découragées par principe. Par ailleurs, l’emploi de la formule « Open Source » permet de mettre un terme à une confusion issue du double sens du mot « free », pouvant laisser croire que les logiciels libres sont systématiquement gratuits, ou hors du commerce.
L’orientation de l’OSI vers la sphère marchande des logiciels libres se produit alors en adoptant la même démarche de régulation de la FSF, et l’OSI procède à son tour à la certification de licences « Open Source », selon une liste de 10 critères1 à respecter.
Dans l’immense majorité des cas, les licences « libres » sont également reconnues par l’Open Source Initiative, et en particulier la licence GNU GPL.
Succès du mouvement du logiciel libre
Les premières années du mouvement pour le logiciel libre ont initié la création d’un grand nombre de programmes réputés pour leur efficacité, mais auxquels il manquait un noyau commun efficace.
C’est dans les années 90 que le logiciel libre prendra donc son véritable essor avec le noyau Linux initié par Linus Torvald. Ainsi naissent les distributions GNU/Linux, au départ utilisées principalement en milieu universitaire. De nombreux logiciels libres se développeront sous licence libre, dans tous les domaines (à l’exception de logiciels métier) et notamment le secteur des infrastructures, des services réseaux/internet, des applications bureautiques, du multimédia, et des applications métiers, etc…
Sur le marché des logiciels grand public (la « face visible »), les logiciels libres n’ont longtemps percé que sur des usages précis, à la faveur notamment de quelques logiciels phares tels que le navigateur Mozilla/Firefox, la suite bureautique LibreOffice, le lecteur multimédia VLC, ou encore la distribution Linux Ubuntu.
Le monde de l’entreprise n’a cependant pas attendu le grand public pour plébisciter les logiciels libres depuis de nombreuses années. La grande majorité des sites web sont motorisés par des technologies libres (serveur LAMP, Drupal/Wordpress/Plone, etc.), de même que les serveurs d’entreprise, les supercalculateurs etc.
Le succès du libre a conduit à l’élargissement de son champ depuis plusieurs années, tendance favorisée par l’apparition d’environnements de bureau simples d’usage, incitant encore les entreprises et les particuliers à se tourner vers les logiciels libres (ou à l’envisager).
Ce mouvement d’adoption s’est traduit dans le secteur public par l’engagement progressif de certaines administrations pionnières (l’Administration française fait figure de pionnière en la matière au niveau international) ouvrant la voie à l’adoption des logiciels libres par un nombre croissant d’Administrations et de Gouvernements dans le monde (Union européenne, Brésil, Norvège, Espagne, Italie, Québec, Inde etc..).
En France des initiatives sont menées depuis plus de dix ans à tous les échelons de l’Administration, des collectivités locales jusqu’aux ministères et les institutions les plus prestigieuses (notamment l’Assemblée Nationale2, le Ministère des Finances et de l’Économie3, la Gendarmerie Nationale4).
En synthèse, le mouvement du logiciel libre, après s’être structuré et rationalisé dans le début des années 2000, est aujourd’hui en expansion rapide dans de très nombreux secteurs industriels, et notamment des secteurs sensibles tels que l’aéronautique, qui voient des logiciels libres quotidiennement déployés au sein d’applications et de services critiques.
Références